Des comédiens réinventent l’art de la consultation

Utiliser des acteurs pour apprendre aux praticiens à parler aux patients. Une pratique encore trop rare en France.

Un élève-infirmier au chevet de la patiente, jouée par la comédienne Géraldine Dupla. Haute Ecole de La Santé à Lausanne.Guy Stotzer

Selon la Sofres, un tiers des français hospitalisés en 2012 sont insatisfaits de la qualité du dialogue avec le personnel médical. Comment, dès lors, apprendre aux soignants à trouver les mots justes ? Rarissime en France, la technique du patient simulé, où des acteurs jouent le rôle de malades, lève pourtant cet embarras. Créée en 1963 aux Etats-Unis par le neurologue Howard Barrows, elle est aujourd’hui très développée aux Etats-Unis, en Angleterre comme en Suisse Romande.

Jean-Paul, robot-cobaye à l’école de La Source. Olivia Barron

Première école laïque pour infirmiers au monde, La Source, à Lausanne, utilise depuis 2004 cette technique dans le cadre de son Laboratoire de pratique simulée. Un espace de 700m2, fascinant théâtre au décor blafard d’hôpital envahi de brancards, de sondes et de masques à oxygène. «C’est un lieu pour faire les premiers gestes, les premières erreurs, mais sur des acteurs ou des robots» résume son directeur, Jacques Chapuis. Dans une réserve aux allures de morgue, une famille de robots repose, les yeux grands ouverts.

Dans cet hôpital virtuel, chaque élève s’adonne, quatre jours par an, au jeu du patient simulé. « Mme Magnin, 24 ans, brûlée à la jambe au troisième degré, vient pour refaire son pansement » annonce le professeur. Un premier volontaire se jette à l’eau. Voix éteinte, regard vide, la comédienne qui incarne Mme Magnin, se plaint d’insomnies, de ne pouvoir reprendre une vie normale. Recroquevillée dans son fauteuil, elle ressemble à une pauvre petite fille. Si l’étudiant s’abrite derrière une posture, elle force le trait, pour le pousser dans ses derniers retranchements. « Hospitalisés, les patients tombent souvent dans un mutisme profond. J’ai dû travailler cette souffrance en sourdine. Donner à voir le repli, la gestuelle, tout l’échange non-verbal » témoigne la comédienne, Géraldine Dupla.

La technique du patient simulé « prépare l’étudiant à faire face à des situations humaines pleine d’inattendus » souligne Otilia Froger, professeure à l’école de La Source. Vincent, élève en troisième année, avoue s’être libéré ainsi de l’angoisse que lui inspirait les stages pratiques. Car la simulation offre un cadre où la maladresse comme l’échec restent sans conséquence pour le patient. « Un jour, je jouais une femme de cinquante-ans en phase terminale d’un cancer. L’élève infirmier est entré et m’a lancé un peu condescendant : Quel est le problème aujourd’hui madame ? Je lui ai répondu, le problème, c’est que je meurs dans une semaine ! Cette réplique a tout de suite recentré la situation » se souvient Géraldine Dupla. Parallèlement, l’école sollicite des « patients-partenaires », de vraies personnes âgées, pour sensibiliser les élèves à la gériatrie.

Des robots ou des hommes

Les soixante-cinq centres de simulation existant en France privilégient l’achat de mannequins informatisés, sans guère se soucier du relationnel,
du « facteur humain ». Extrêmement coûteux puisque son prix oscille entre 65.OOO et 80.OOO euros, un mannequin 3G haute fidélité sait simuler la plupart des fonctions vitales. Son cœur bat, il respire et il lui arrive même de pleurer ! Mais il est incapable d’en parler, d’avoir peur et surtout d’en mourir. Indispensable à l’apprentissage des gestes techniques mais impuissant à témoigner de la souffrance, ce type de robot fait la fierté des centres de simulation français. Qui, fascinés par la technologie, en oublient souvent l’essentiel.

Toutefois, certains innovent, dans les champs de la cancérologie et de la pédiatrie surtout. A la Faculté de Médecine de Nantes, Angélique Bonnaud-Antignac et Stéphane Supiot ont créé en 2004, avec les comédiens de la Ligue d’Improvisation nantaise, un module de patient simulé consacré à l’annonce du cancer. « En 2003, une enquête Sofres révélait qu’un tiers des patients atteint de cancers étaient choqués par la façon dont leur était annoncée la maladie. Il nous a semblé urgent d’agir » explique le docteur Bonnaud-Antignac. « Lors de la simulation, les étudiants hésitent, ils ont du mal à dire le mot « cancer ». A force d’apprendre du vocabulaire médical, ils s’enferment dans un jargon trop savant, effrayant pour le patient. Pourtant, le choix des mots est décisif » observe le professeur Supiot.
Onéreuse, cette séance de patient simulé n’a lieu qu’une seule fois par an pour chacun des deux cent quarante étudiants en oncologie. Filmée, elle permet ensuite à l’élève d’en discuter avec une psychologue et un médecin senior.

Si les étudiants français n’ont, en général, pas de véritable formation en psychologie, certains CHU compensent cette insuffisance dans la formation continue. C’est le cas à Angers, au centre de simulation, où internes et médecins seniors s’entrainent avec des comédiens à l’annonce du cancer. « Si la France a pris du retard, c’est qu’elle n’a ni réglementation, ni personnel d’encadrement formé à la pratique du patient simulé » explique Jean-Claude Granry, créateur de ce centre. Lauréat en 2012 du Grand prix de l’Association Nationale pour la Formation permanente du personnel Hospitalier pour son utilisation du théâtre dans la formation médicale, le CHU d’Angers entend bien imposer cette technique en France. La Haute Autorité pour la Santé vient d’ailleurs de solliciter Jean-Claude Granry pour promouvoir cette pratique au niveau national.

Article publié dans la rubrique Et Vous (Santé) du Monde.fr le 16 Janvier 2013.

20 commentaires sur “Des comédiens réinventent l’art de la consultation

  1. Merci pour cet article. Mon conjoint a accompagné sa mère durant son cancer, il n’a jamais de mots trop forts pour exprimer son mépris et sa colère vis-à-vis des membres du corps médical, médecins entre autres, qui à force de prendre du recul et de se réfugier dans la technique se déshumanisent et n’ont rien à offrir aux patients ou à leur famille que des gestes mécaniques dénués d’intérêt au final pour des mourants… Voilà qui rend un peu d’espoir et permet aussi de montrer que médecins et infirmiers peuvent et veulent soigner des êtres vivants.

    J’aime

  2. « Madame, on a les résultats de vos analyses. On vous retire l’utérus dans 3 semaines, vous avez un cancer. »
    Voilà la petite phrase entendue par ma tante il y a 9 ans, phrase qui l’a profondément blessée et choquée et qui me fait applaudir chaleureusement l’initiative que vous rapportez. Je lui ai transmis l’article, je pense qu’elle appréciera.

    Oui, les médecins doivent garder une distance avec leurs patient, pour ne pas se faire « bouffer » par les émotions. Mais pour autant, ils doivent rester humains et composer avec l’être en face d’eux. Beau travail lancé par nos voisins suisses, qui se démocratisera en France j’espère.

    J’aime

  3. De façon générale les jeux de rôles sont très rarement utilisés en France. C’est pourtant la seule façon vraiment efficace de faire. Mise en situation, analyse, action, évaluation collective. Toutes les matières peuvent en bénéficier, des maths à l’histoire. Se mettre dans la peau de Napo ou de Nelson, dans celle de Descartes ou de Newton, c’est faire l’économie de longues journées d’ennui et de passivité, destructrices de talents et d’imagination qui ne laisseront survivre que les conformistes.Idem dans l’armée, où la France a toujours énormément de retards, par incapacité à comprendre un adversaire, ce qui ne peut se fa

    J’aime

    1. Bonjour ,
      Enseignante en médecine générale , recevant des internes depuis de nombreuses années , nous avons participé de nombreuses fois avec mes collègues, à des cessions de formation pour les internes sous forme de jeux de rôles .Il y a même au sein du département de Médecine Générale un cursus de formation , initiation, sensibilisation à la relation médecin/malade .Une initiation aux groupes Balint est proposée aux étudiants. Il est regrettable sans doute que toute cette formation ne soit pas généralisée, mais il est triste, pour des médecins de « terrain » qui s’impliquent dans la formation des jeunes médecins de lire tout ceci.
      La grande majorité des jeunes médecins internes que nous recevons dans nos cabinets ont des qualités exceptionnelles , et même à contre-courant de l’ambiance générale.
      A l’heure du tout « évaluation » comptable et technique par les diverses instances qui nous « surveillent » , cet aspect d’empathie, du rôle « apostolique » du médecin est un vague souvenir . La société entière doit aider les médecins à garder leur place certes de bons professionnels à jour des connaissances et des évolutions de la médecine mais aussi les aider à être libérés des contingences administratives pour redonner à cette profession sa dimension humaniste. Le tutorat des plus jeunes ainsi que le compagnonnage des plus âgés permet la transmission d’un savoir pour , nous l’espérons , le bien de tous et la dignité de notre beau métier.
      A l’inverse nous sommes confrontés à des malades en grande souffrance psychique du fait de leurs conditions de vie ( chômage, précarité ect..) et il n’est pas rare que nous soyons très maltraités .L’énergie intellectuelle et psychique nécessaire à notre exercice quotidien rend parfois la tâche ardue…Nombres de médecins se réunissent dans des groupes qu’on appelle  » échanges de pratique » lors desquels ils confrontent les problèmes qu’ils rencontrent. Les étudiants sont formés aux gestes techniques sur des mannequins , à l’annonce d’une mauvaise nouvelle , à la « gestion » d’un patient difficile et nombres de situations qui leur permettent de réfléchir aux situations qu’ils vivent en stage ou auxquelles ils seront confrontés.
      Nous essayons d’améliorer la formation des internes , nous tentons d’évaluer la progression des internes au cours de leur cursus et nous nous interrogeons beaucoup sur la pédagogie la plus adaptée .
      Mais bien sûr sans doute on « pourrait » faire mieux !
      Mais il ne faut pas dire que nous ne faisons rien !

      J’aime

      1. Merci pour votre témoignage très intéressant. C’est formidable que vous puissiez développer ce type de formation malheureusement trop rare en France. Mon article n’est évidemment pas exhaustif.
        Bien à vous,
        Olivia Barron.

        J’aime

  4. Cela ne s’apprend pas. La relation patient-praticien ne vient qu’avec le temps : au malade d’accepter de guérir ou d’affronter la mort et au médecin de vouloir soigner et d’écouter son patient.

    J’aime

  5. Excellente initiative et effectivement, vivement que ce soit plus largement répandu. Je ne peux qu’adhérer à vos propos.

    Un de mes plus terrible souvenir étant la maladie de mon père (glioblastome) :
    – infirmière des urgences qui humilie mon père devant moi, sans en prendre conscience
    – diagnostic de démence sénile (erroné mais là n’est pas la question) lâché sans aucune préparation par l’interne aux urgences
    – neurochirurgienne à l’hôpital sans tact (reprenant ma mère qui venait de passer 15 jours 24h-24h à s’occuper de mon père -perte d’équilibre, de mémoire, incontinence, paralysie…- sans savoir ce qu’il avait)

    Rien de technique là-dedans.
    L’erreur de diagnostic, elle est humaine et n’aurait certainement pas changé le cours des choses.
    Par contre, la de ces trois personnes ont construit des souvenirs que j’ai du mal à m’enlever de la tête, 2 ans après sa mort.

    Aucune envie de sanctionner mais juste d’améliorer si possible ces traitements.

    J’aime

  6. Professeur de médecine à l’université Claude Bernard Lyon 1, je vous signale que nous utilisons la simulation depuis de nombreuses années : nous l’avons décrite dans notre ouvrage « Communication médicale », Ellipses, 1994 et nous l’enseignons dans le cadre du Diplôme de Pédagogie Médicale de notre université depuis 15 ans.
    Le problème est plus de persuader l’ensemble des Facultés de s’y mettre…

    J’aime

    1. Merci pour votre témoignage. Et bravo au pôle de Pédagogie Médicale de votre université qui participe au développement de la simulation en France.
      Bien à vous,
      Olivia Barron.

      J’aime

  7. Il est évident que jouer le rôle d’un patient n’est pas aisé pour l’acteur. Celà étant dit, c’est toujours mieux que simuler sur des mannequins inertes et surtout : toujours mieux que rien ! Nous souhaitons déployer cette méthode pédagogique, que nous appelons « ECOS » (évaluation clinique objective structurée) au sein de notre Institut de Formation en Soins Infirmiers. J’ai pu participer à de multiples reprises à ce type de séquences en Belgique, où la méthode est ancrée dans le cursus infirmier depuis de nombreuses années et je peux vous affirmer que les résultats sont très concluants. L’objectif est avant tout de préparer l’étudiant à tout type de situation qu’il sera amené à rencontrer à l’hôpital et surtout à gérer ! De multiples compétences peuvent ainsi être évaluées simultanément en fonction des objectifs pédagogiques fixés par le formateur (mobilisation des savoirs cognitifs, des attitudes et des habiletés techniques). Cette méthode permet d’une part d’obtenir une interaction (feedback) très intéressante entre le « soignant » (= étudiant) et son « patient » (= acteur) et d’autre part, grâce à l’exploitation des données, d’identifier des inssufisances où des points essentiels du cours sur lesquels l’enseignant aurait pu insister davantage. Enfin, celà permet de réaliser à distance de la séquence, une analyse de pratique très constructive aussi bien pour l’étudiant que pour les formateurs/enseignants.

    J’aime

  8. Merci pour votre témoignage. En effet , la pratique des patients simulés est vraiment bénéfique ( et stimulante! ). Certains comédiens, formés à cet exercice, sont tout à fait crédibles dans le rôle des patients.
    Bien à vous,
    Olivia B.

    J’aime

  9. Les étudiants sont formés aux gestes techniques sur des mannequins , à l’annonce d’une mauvaise nouvelle , à la « gestion » d’un patient difficile et nombres de situations qui leur permettent de réfléchir aux situations qu’ils vivent en stage ou auxquelles ils seront confrontés.

    J’aime

  10. Je complète les propos de mon collègue Guy Llorca, pour l’Université Cl. Bernard Lyon 1. Depuis deux ans, une des deux facultés (Lyon-Est) utilise les jeux rôle pour les 400 étudiants en troisième année de médecine (situation non grave) et en quatrième année (annonce d’une maladie grave). En deuxième année, nous travaillons sur l’observation des situations de consultations, avec des documentaires (arrêt sur image, suppression du son ou de l’image, analyse du non-verbal, décryptage, discussion). Même si ces enseignements peuvent encore largement s’améliorer, les étudiants en sont satisfaits et participent activement. Ils nous disent apprendre autant lorsqu’ils jouent un malade que lorsqu’ils jouent un médecin. Un dernier mot : ces enseignements résultent d’une collaboration étroite entre médecins et universitaires de sciences humaines (philosophes, anthropologues, historiens, etc.)

    J’aime

  11. Bonjour,
    Existe t-il des centre de formation de patients simulés en France comme il en existe en Suisse?
    Je suis comédienne et ai connu cette pratique par un ami comédien en Suisse.
    Je trouve très important de répandre cette méthode mais ne sais pas à qui m’adresser pour le faire…

    J’aime

Laisser un commentaire