Au CHU de Dijon, les prématurés aiment l’opéra

Des chanteuses lyriques enveloppant d’une berceuse des bébés prématurés, c’est le projet original lancé en 2016 par l’Opéra de Dijon, en partenariat avec le CHU. Une soirée par mois, deux choristes, entourées par des infirmières, interviennent en pédiatrie et en réanimation néonatale, dans un service où 150 grands prématurés sont admis chaque année. Un dispositif unique, qui tente d’apaiser ces bébés nés trop tôt, mais aussi leurs parents souvent traumatisés.

L’entrée du CHU François Mitterrand, à Dijon, 
©CHU Dijon Bourgogne

Une mezzo-soprano à l’hôpital, voilà qui n’est pas habituel. D’autant que le service de réanimation néonatale du CHU de Dijon-Bourgogne n’a vraiment rien d’un décor d’opéra et que les scènes qui s’y donnent sont autrement bouleversantes. Mais il faut voir dans la chambre plongée dans la pénombre, Delphine Ribémont-Lambert, choriste à l’Opéra de Dijon, chanter une berceuse à un bébé prématuré pour comprendre l’intérêt de cette démarche initiée depuis dix mois. « Dès les premières notes, notre bébé a ouvert grand les yeux, captivé par la mélodie. Puis, sa fréquence respiratoire et son rythme cardiaque se sont stabilisés » témoigne Meghann Parisot, mère d’Amaël, né à seulement cinq mois et demi, avec un pronostic vital engagé. «Les quinze premiers jours, la voix était notre seule manière de communiquer avec Amaël, placé en couveuse fermée. Mais nous n’osions pas vraiment chanter, nous fredonnions, intimidés. Les vibrations émises par la chanteuse sont bien plus intenses, ça a beaucoup intéressé Amaël ».

Delphine Ribémont-Lambert à l’Opéra de Dijon, ©Opéra de Dijon ».

Une mélopée intime

Solène Pichon,  CHU Dijon-Bourgogne

« C’est un chant presque murmuré, très intime, que je livre à ces bébés » explique la choriste, attentive aux signes ténus émis par ces nourrissons pesant parfois moins d’un kilo (on parle de grande prématurité pour des enfants nés entre 24 et 31 semaines d’aménorrhée. Cela représente en France 7% des naissances, soit près de 60.000 enfants par an, un chiffre en hausse de 20% depuis 1995). « Ici, j’ai appris à éviter toutes les fréquences aigües, très désagréables pour les bébés ! » précise-t-elle, attentive. Cette chanteuse lyrique, formée en psychophonie*, est accompagnée par une infirmière puéricultrice, Solène Pichon, qui s’intéresse depuis toujours aux effets thérapeutiques du chant. « Au début, j’ai été chargée de réduire les nuisances sonores au sein du service de néonatologie. Les alarmes stridentes, le moteur des couveuses, tout ce bruit génère du stress chez le prématuré. Mais j’avais remarqué qu’une simple berceuse suffisait à apaiser certains bébés » explique l’infirmière. Un binôme artistico-médical rarissime dans le milieu hospitalier français, où les soins sont souvent confiés à des musicothérapeutes qui interviennent seuls.

Un public …concerné !

Delphine Ribémont-Lambert chante une berceuse à un bébé prématuré, © Opéra de Dijon ».

« Quand je chante, certains nourrissons cherchent la source sonore du regard. Ils sont très attentifs et sourient. D’autres s’endorment paisiblement » constate l’artiste. Le chant stimule aussi le réflexe de succion, présent in utero, mais particulièrement fragile chez les prématurés, alimentés par des sondes. « Il est important de maintenir ce réflexe actif, car cela améliore ensuite le comportement alimentaire de l’enfant » précise Solène Pichon. Le petit Amaël, par exemple, « a pris ensuite très facilement son biberon et n’a eu aucune difficultés lors des tests d’oralité » constate sa mère. Grâce au chant « la respiration et le rythme cardiaque se régulent » souligne Solène Pichon « l’enfant se calme, cesse de pleurer, se détend ». Un apaisement vital pour ces bébés éprouvés par des traitements quotidiens, intubés, bardés de fils liés au monitoring. « Le prématuré reçoit en moyenne un soin toutes les six heures, chaque manipulation génère du stress », pointe Solène Pichon. « Pour supporter l’intubation, Amaël a été placé sous morphine, c’était très éprouvant. Je me demandais si mon bébé me reconnaissait, s’il distinguait ma voix » se souvient Meghann Parisot, qui est restée vivre trois mois à Dijon, hébergée par des amis, pour être près de son enfant.

Une participation des parents

 « Après le choc d’un accouchement prématuré, les parents ont les yeux rivés sur les machines, angoissés. Grâce au chant, ils découvrent leur bébé autrement que relié à des tuyaux » constate Solène Pichon. « Je propose ensuite un atelier de chant commun aux parents et au personnel soignant, afin qu’ils s’approprient la berceuse » enchaîne Delphine Ribémont-Lambert. La choriste sélectionne une chanson adaptée aux débutants et privilégie les fréquences graves, accessibles aux pères. « Mon mari n’était pas vraiment à l’aise, l’atelier l’a beaucoup aidé ! Chanter nous a donné confiance dans notre rôle de parents car le bébé vous écoute, reconnaît votre voix. Depuis, nous chantons tous les jours ! » précise Meghann Parisot. « Le chant favorise aussi la circulation des émotions. Beaucoup de parents se mettent à pleurer, confie Delphine Ribémont-Lambert, mais ça libère les tensions ! ». L’atelier offre ainsi un espace de dialogue entre les parents, rarement réunis, et l’équipe soignante, ce qui lui ouvre une autre action non strictement technique. « Mes collègues s’autorisent désormais à chanter pendant les soins, ce n’était pas le cas auparavant ! » s’enthousiasme Solène Pichon.

Une initiation au chant , ©CHU Dijon Bourgogne

Privilégier l’humain dans un univers médical où la technologie domine, fragilisant la relation entre patient et soignant, voilà ce que permet cette initiative. « Dans certains services, on a tendance à installer des ordinateurs centraux, regroupés dans une sorte de tour de contrôle, qui donnent les courbes et les chiffres renseignant sur chaque malade, sans avoir besoin de s’approcher de la couveuse », écrit la psychanalyste Catherine Vanier dans son ouvrage passionnant, Naître Prématuré (Bayard). Coupé du monde humain, « le risque que l’enfant prématuré s’identifie à la machine est pourtant bien réel », prévient-elle. Ainsi, ces enfants ont un risque accru de développer des troubles du comportement. « Nos bébés sont si petits qu’il est très facile de ne pas s’adresser à eux, de ne pas reconnaître qu’ils existent » alerte la psychanalyste. Créer des interactions avec le nourrisson, aussi petit soit-il, c’est ce que tente de valoriser ce partenariat atypique. Un très bon début, car encore rares sont les équipes, comme celles du Docteur Pascal Bolot à l’hôpital Delafontaine de St-Denis (93), qui ont pu intégrer une psychanalyste qui accompagne au quotidien les bébés en leur parlant.

*méthode thérapeutique utilisant le son et la voix

Article publié le 17 juillet 2017 dans la rubrique Culture ( Scènes) du Monde.fr

 

 

« Nachlass » réinvente notre dernier acte

Le théâtre peut-il se jouer de la mort et du temps ? C’est la question dont s’est saisi le collectif berlinois Rimini Protokoll qui construit actuellement à Lausanne une performance avec huit personnes mourantes. Nachlass*  donne la parole à un groupe de français et de suisses, jeunes ou moins jeunes, qui n’assisteront peut-être pas au soir de la première. Loin de tout attrait morbide, Rimini Protokoll interroge cette disparition, jouant avec les traces laissées par ces êtres, memento mori bien vivant. Photographies, vidéos, enregistrements et objets chers aux protagonistes viendront donner corps à cette sonate des spectres, jetant le trouble chez les vivants. Un bâtiment, huit chambres, aucune présence humaine, tel est le mémorial intime conçu par le scénographe Dominic Huber. Une pièce sans acteurs en somme, proche de l’installation d’art contemporain. Ce n’est évidemment pas un hasard si cette création voit le jour en Suisse, pays pionnier en terme de recherche et de gestion médicale de la mort, autorisant l’assistance au suicide, encore interdite en France. Juste avant sa création au Théâtre de Vidy-Lausanne, à la rentrée prochaine, puis sa venue en France, nous avons rencontré le metteur en scène Stefan Kaegi autour de ce projet, fruit d’un long travail débuté il y a deux ans.   

© Walter Schels. Inspirations pour Nachlass
Photographie de Walter Schels. Inspirations pour Nachlass

Deadline, l’un de vos précédents spectacles, abordait déjà la question de la mort par le biais de son industrie. Qu’est-ce qui a suscité un regain d’intérêt pour cette thématique si sensible ?

Stefan Kaegi, D.R
Stefan Kaegi, D.R

Stefan Kaegi : Aujourd’hui, il faut planifier jusqu’à sa mort. Les centres funéraires sont submergés de demandes pour des rituels laïques toujours plus inventifs. Tout est scénarisé, anticipé, que ce soit pour la dispersion des cendres ou le choix des cercueils, rappelant l’univers de la série télévisée « Six Feet Under ». Malgré cette volonté de maitrise absolue, le scandale de la mort demeure, incontrôlable. Plus que la mort en soi, c’est cette tendance à la rationalisation qui nous a interpellé. A la différence de Deadline, où nous donnions la parole à des experts, médecins légistes ou directeurs de crématorium, Nachlass s’est construit avec des personnes directement confrontées à leur mort prochaine. Ce qui nous intéressait, c’était d’investir l’ensemble des lettres, œuvres, documents, qui dessinent le corpus de leur existence, bien  loin des questions d’héritage. Capter des fragments de vie, explorer leurs désirs pour les offrir plus tard au public, quand ces êtres auront peut-être disparu. L’une des protagonistes, une française venue en Suisse pour bénéficier de l’assistance au suicide, aurait aimé devenir chanteuse. Toute sa vie secrétaire dans une entreprise automobile, elle n’a pu réaliser ce voeu. Pour ce spectacle posthume, elle a enregistré une chanson qui sera diffusée au cours de la performance, et nous a confié avoir ainsi réalisé son rêve ! Elle est décédée juste une semaine après l’enregistrement.

Inspirations, Nachlass, Rimini Protokoll
Inspirations, Nachlass, Rimini Protokoll

Pourquoi avoir choisi la Suisse comme terrain d’observation?

Stefan Kaegi : Observer la mort en Suisse, c’est un peu comme faire un voyage vers le futur, les avancées technologiques sont stupéfiantes. Plus qu’ailleurs, on s’applique à avoir raison de la mort, on accélère ou on retarde sa venue. Peu de pays permette une telle approche, et c’est pour cela que nous en avons fait le point de départ de Nachlass. A Genève, les instituts de recherche visent au prolongement de l’espérance de vie au-delà de 130 ans, alors qu’elle est déjà de 82 ans en Suisse, bien plus qu’ailleurs. Le Human Brain Project s’emploie à l’analyse détaillée du cerveau humain, explorant les lacunes de notre mémoire, défaillante au long cours alors que nous vivons toujours plus vieux. En parallèle, il est désormais possible de décider de sa propre mort grâce aux organismes d’assistance au suicide telles Exit ou Dignitas. Dans Nachlass, deux de nos protagonistes y ont eu recours, dont une française. Elle nous a longuement parlé du sentiment d’injustice qu’elle avait ressentie dans son pays, celui de ne pouvoir partir dignement, mais aussi légalement. La Suisse expérimente des projets avant-gardistes dont on discute actuellement dans toute l’ Europe. Je crois que l’économie de nos nations n’est pas faite pour forcer les gens à vivre plus longtemps qu’ils ne le désirent.

Le thème de Nachlass est particulièrement éprouvant, voire dérangeant. Comment êtes-vous parvenu à trouver la bonne distance ?

Stefan Kaegi : La mort n’est pas forcement triste. C’est un phénomène tragique mais naturel, que la société refoule. Nous avons parfois beaucoup ri, comme avec Mme B., qui nous a confié être de toute façon trop vieille pour pleurer ! Elle n’a d’ailleurs plus de larmes ! Les personnes en fin de vie ont un vif désir de témoigner, contrairement à leur entourage, souvent très peiné. Nous avons partagé de très jolis moments avec cette suissesse de 94 ans, longtemps ouvrière dans une usine de réveils, elle travaillait dans le temps donc. Logiquement, nous avons discuté de l’éphémère, de la photographie, qu’elle a pratiquée toute sa vie, de l’image qui perd son signifiant une fois l’artiste disparu. Ses clichés forment un saisissant portrait de la classe ouvrière suisse, dont on ignore à quel point elle était très pauvre. Nous avons également travaillé avec un genevois de 40 ans, qui sait qu’il ne verra probablement pas grandir sa fille de 14 ans. Pour Nachlass, nous avons réalisé une série d’enregistrements qui le montre bien vivant, à la pêche ou ailleurs. C’est l’image qu’il veut que l’on garde de lui, loin des ravages de la maladie. Enfin, il y a aussi cette avocate suisse, très âgée, qui a décidé de se suicider dans trois ans. D’ici-là, elle souhaite dépenser tout son argent en le distribuant à des personnes de son choix car elle n’a aucune confiance en l’Etat !

Inspirations, Nachlass, Rimini Protokoll

L’espace est un acteur central de vos performances. Quel dispositif avez-vous imaginé ici ?

Stefan Kaegi : Avec Nachlass, qui est une pièce sans acteurs, nous souhaitons créer une expérience immersive. Le public se déplacera en petits groupes à travers les huit chambres, toutes donnant sur une salle d’attente. Dans chacune, il découvrira des objets, traces, meubles ou odeurs appartenant aux protagonistes, chargés de souvenirs heureux ou douloureux. Il y aura des documents, témoignages audio et autres messages directement adressés au public. La voix du mort décidera d’ailleurs de la position adoptée par ce dernier, créant un jeu de connivence. La non-présence se laissera-t-elle représenter ? C’est ce que nous découvrirons ! Au-delà des témoignages personnels, Nachlass interroge des thèmes comme la médecine du futur, la mémoire, l’héritage immatériel. Je pense que le public s’interrogera aussi sur sa propre mort, sur la manière dont il souhaite organiser son départ, en miroir. Aujourd’hui, les cimetières témoignent  souvent moins de la vie d’un défunt qu’un simple site web ou qu’un compte Facebook. L’espace de la mort est devenu étrange.

Premières esquisses pour la scénographie de Nachlass
Premières esquisses pour la scénographie de Nachlass

Première en Septembre 2016 au Théâtre de Vidy-Lausanne, Suisse- Tournée prévue en France à Annecy, Dijon et Strasbourg.

Nachlass : Mot allemand se composant de « nach » ( après) et du verbe « lassen » (laisser). « Nachlass » correspond à l’ensemble des biens matériels et immatériels laissés par un défunt. Dans un sens plus spécifique, notamment dans la recherche , « Nachlass » désigne la totalité des archives ( lettres, œuvres, documents…) qui étaient en possession d’une personne ou le corpus qu’elle a construit.

Article publié le 26 avril 2016 dans la rubrique Culture ( Scènes) du Monde.fr

 

 

Des comédiens réinventent l’art de la consultation

Utiliser des acteurs pour apprendre aux praticiens à parler aux patients. Une pratique encore trop rare en France.

Un élève-infirmier au chevet de la patiente, jouée par la comédienne Géraldine Dupla. Haute Ecole de La Santé à Lausanne.Guy Stotzer

Selon la Sofres, un tiers des français hospitalisés en 2012 sont insatisfaits de la qualité du dialogue avec le personnel médical. Comment, dès lors, apprendre aux soignants à trouver les mots justes ? Rarissime en France, la technique du patient simulé, où des acteurs jouent le rôle de malades, lève pourtant cet embarras. Créée en 1963 aux Etats-Unis par le neurologue Howard Barrows, elle est aujourd’hui très développée aux Etats-Unis, en Angleterre comme en Suisse Romande.

Jean-Paul, robot-cobaye à l’école de La Source. Olivia Barron

Première école laïque pour infirmiers au monde, La Source, à Lausanne, utilise depuis 2004 cette technique dans le cadre de son Laboratoire de pratique simulée. Un espace de 700m2, fascinant théâtre au décor blafard d’hôpital envahi de brancards, de sondes et de masques à oxygène. «C’est un lieu pour faire les premiers gestes, les premières erreurs, mais sur des acteurs ou des robots» résume son directeur, Jacques Chapuis. Dans une réserve aux allures de morgue, une famille de robots repose, les yeux grands ouverts.

Dans cet hôpital virtuel, chaque élève s’adonne, quatre jours par an, au jeu du patient simulé. « Mme Magnin, 24 ans, brûlée à la jambe au troisième degré, vient pour refaire son pansement » annonce le professeur. Un premier volontaire se jette à l’eau. Voix éteinte, regard vide, la comédienne qui incarne Mme Magnin, se plaint d’insomnies, de ne pouvoir reprendre une vie normale. Recroquevillée dans son fauteuil, elle ressemble à une pauvre petite fille. Si l’étudiant s’abrite derrière une posture, elle force le trait, pour le pousser dans ses derniers retranchements. « Hospitalisés, les patients tombent souvent dans un mutisme profond. J’ai dû travailler cette souffrance en sourdine. Donner à voir le repli, la gestuelle, tout l’échange non-verbal » témoigne la comédienne, Géraldine Dupla.

La technique du patient simulé « prépare l’étudiant à faire face à des situations humaines pleine d’inattendus » souligne Otilia Froger, professeure à l’école de La Source. Vincent, élève en troisième année, avoue s’être libéré ainsi de l’angoisse que lui inspirait les stages pratiques. Car la simulation offre un cadre où la maladresse comme l’échec restent sans conséquence pour le patient. « Un jour, je jouais une femme de cinquante-ans en phase terminale d’un cancer. L’élève infirmier est entré et m’a lancé un peu condescendant : Quel est le problème aujourd’hui madame ? Je lui ai répondu, le problème, c’est que je meurs dans une semaine ! Cette réplique a tout de suite recentré la situation » se souvient Géraldine Dupla. Parallèlement, l’école sollicite des « patients-partenaires », de vraies personnes âgées, pour sensibiliser les élèves à la gériatrie.

Des robots ou des hommes

Les soixante-cinq centres de simulation existant en France privilégient l’achat de mannequins informatisés, sans guère se soucier du relationnel,
du « facteur humain ». Extrêmement coûteux puisque son prix oscille entre 65.OOO et 80.OOO euros, un mannequin 3G haute fidélité sait simuler la plupart des fonctions vitales. Son cœur bat, il respire et il lui arrive même de pleurer ! Mais il est incapable d’en parler, d’avoir peur et surtout d’en mourir. Indispensable à l’apprentissage des gestes techniques mais impuissant à témoigner de la souffrance, ce type de robot fait la fierté des centres de simulation français. Qui, fascinés par la technologie, en oublient souvent l’essentiel.

Toutefois, certains innovent, dans les champs de la cancérologie et de la pédiatrie surtout. A la Faculté de Médecine de Nantes, Angélique Bonnaud-Antignac et Stéphane Supiot ont créé en 2004, avec les comédiens de la Ligue d’Improvisation nantaise, un module de patient simulé consacré à l’annonce du cancer. « En 2003, une enquête Sofres révélait qu’un tiers des patients atteint de cancers étaient choqués par la façon dont leur était annoncée la maladie. Il nous a semblé urgent d’agir » explique le docteur Bonnaud-Antignac. « Lors de la simulation, les étudiants hésitent, ils ont du mal à dire le mot « cancer ». A force d’apprendre du vocabulaire médical, ils s’enferment dans un jargon trop savant, effrayant pour le patient. Pourtant, le choix des mots est décisif » observe le professeur Supiot.
Onéreuse, cette séance de patient simulé n’a lieu qu’une seule fois par an pour chacun des deux cent quarante étudiants en oncologie. Filmée, elle permet ensuite à l’élève d’en discuter avec une psychologue et un médecin senior.

Si les étudiants français n’ont, en général, pas de véritable formation en psychologie, certains CHU compensent cette insuffisance dans la formation continue. C’est le cas à Angers, au centre de simulation, où internes et médecins seniors s’entrainent avec des comédiens à l’annonce du cancer. « Si la France a pris du retard, c’est qu’elle n’a ni réglementation, ni personnel d’encadrement formé à la pratique du patient simulé » explique Jean-Claude Granry, créateur de ce centre. Lauréat en 2012 du Grand prix de l’Association Nationale pour la Formation permanente du personnel Hospitalier pour son utilisation du théâtre dans la formation médicale, le CHU d’Angers entend bien imposer cette technique en France. La Haute Autorité pour la Santé vient d’ailleurs de solliciter Jean-Claude Granry pour promouvoir cette pratique au niveau national.

Article publié dans la rubrique Et Vous (Santé) du Monde.fr le 16 Janvier 2013.