Des chanteuses lyriques enveloppant d’une berceuse des bébés prématurés, c’est le projet original lancé en 2016 par l’Opéra de Dijon, en partenariat avec le CHU. Une soirée par mois, deux choristes, entourées par des infirmières, interviennent en pédiatrie et en réanimation néonatale, dans un service où 150 grands prématurés sont admis chaque année. Un dispositif unique, qui tente d’apaiser ces bébés nés trop tôt, mais aussi leurs parents souvent traumatisés.
Une mezzo-soprano à l’hôpital, voilà qui n’est pas habituel. D’autant que le service de réanimation néonatale du CHU de Dijon-Bourgogne n’a vraiment rien d’un décor d’opéra et que les scènes qui s’y donnent sont autrement bouleversantes. Mais il faut voir dans la chambre plongée dans la pénombre, Delphine Ribémont-Lambert, choriste à l’Opéra de Dijon, chanter une berceuse à un bébé prématuré pour comprendre l’intérêt de cette démarche initiée depuis dix mois. « Dès les premières notes, notre bébé a ouvert grand les yeux, captivé par la mélodie. Puis, sa fréquence respiratoire et son rythme cardiaque se sont stabilisés » témoigne Meghann Parisot, mère d’Amaël, né à seulement cinq mois et demi, avec un pronostic vital engagé. «Les quinze premiers jours, la voix était notre seule manière de communiquer avec Amaël, placé en couveuse fermée. Mais nous n’osions pas vraiment chanter, nous fredonnions, intimidés. Les vibrations émises par la chanteuse sont bien plus intenses, ça a beaucoup intéressé Amaël ».
Une mélopée intime
« C’est un chant presque murmuré, très intime, que je livre à ces bébés » explique la choriste, attentive aux signes ténus émis par ces nourrissons pesant parfois moins d’un kilo (on parle de grande prématurité pour des enfants nés entre 24 et 31 semaines d’aménorrhée. Cela représente en France 7% des naissances, soit près de 60.000 enfants par an, un chiffre en hausse de 20% depuis 1995). « Ici, j’ai appris à éviter toutes les fréquences aigües, très désagréables pour les bébés ! » précise-t-elle, attentive. Cette chanteuse lyrique, formée en psychophonie*, est accompagnée par une infirmière puéricultrice, Solène Pichon, qui s’intéresse depuis toujours aux effets thérapeutiques du chant. « Au début, j’ai été chargée de réduire les nuisances sonores au sein du service de néonatologie. Les alarmes stridentes, le moteur des couveuses, tout ce bruit génère du stress chez le prématuré. Mais j’avais remarqué qu’une simple berceuse suffisait à apaiser certains bébés » explique l’infirmière. Un binôme artistico-médical rarissime dans le milieu hospitalier français, où les soins sont souvent confiés à des musicothérapeutes qui interviennent seuls.
Un public …concerné !
« Quand je chante, certains nourrissons cherchent la source sonore du regard. Ils sont très attentifs et sourient. D’autres s’endorment paisiblement » constate l’artiste. Le chant stimule aussi le réflexe de succion, présent in utero, mais particulièrement fragile chez les prématurés, alimentés par des sondes. « Il est important de maintenir ce réflexe actif, car cela améliore ensuite le comportement alimentaire de l’enfant » précise Solène Pichon. Le petit Amaël, par exemple, « a pris ensuite très facilement son biberon et n’a eu aucune difficultés lors des tests d’oralité » constate sa mère. Grâce au chant « la respiration et le rythme cardiaque se régulent » souligne Solène Pichon « l’enfant se calme, cesse de pleurer, se détend ». Un apaisement vital pour ces bébés éprouvés par des traitements quotidiens, intubés, bardés de fils liés au monitoring. « Le prématuré reçoit en moyenne un soin toutes les six heures, chaque manipulation génère du stress », pointe Solène Pichon. « Pour supporter l’intubation, Amaël a été placé sous morphine, c’était très éprouvant. Je me demandais si mon bébé me reconnaissait, s’il distinguait ma voix » se souvient Meghann Parisot, qui est restée vivre trois mois à Dijon, hébergée par des amis, pour être près de son enfant.
Une participation des parents
« Après le choc d’un accouchement prématuré, les parents ont les yeux rivés sur les machines, angoissés. Grâce au chant, ils découvrent leur bébé autrement que relié à des tuyaux » constate Solène Pichon. « Je propose ensuite un atelier de chant commun aux parents et au personnel soignant, afin qu’ils s’approprient la berceuse » enchaîne Delphine Ribémont-Lambert. La choriste sélectionne une chanson adaptée aux débutants et privilégie les fréquences graves, accessibles aux pères. « Mon mari n’était pas vraiment à l’aise, l’atelier l’a beaucoup aidé ! Chanter nous a donné confiance dans notre rôle de parents car le bébé vous écoute, reconnaît votre voix. Depuis, nous chantons tous les jours ! » précise Meghann Parisot. « Le chant favorise aussi la circulation des émotions. Beaucoup de parents se mettent à pleurer, confie Delphine Ribémont-Lambert, mais ça libère les tensions ! ». L’atelier offre ainsi un espace de dialogue entre les parents, rarement réunis, et l’équipe soignante, ce qui lui ouvre une autre action non strictement technique. « Mes collègues s’autorisent désormais à chanter pendant les soins, ce n’était pas le cas auparavant ! » s’enthousiasme Solène Pichon.
Privilégier l’humain dans un univers médical où la technologie domine, fragilisant la relation entre patient et soignant, voilà ce que permet cette initiative. « Dans certains services, on a tendance à installer des ordinateurs centraux, regroupés dans une sorte de tour de contrôle, qui donnent les courbes et les chiffres renseignant sur chaque malade, sans avoir besoin de s’approcher de la couveuse », écrit la psychanalyste Catherine Vanier dans son ouvrage passionnant, Naître Prématuré (Bayard). Coupé du monde humain, « le risque que l’enfant prématuré s’identifie à la machine est pourtant bien réel », prévient-elle. Ainsi, ces enfants ont un risque accru de développer des troubles du comportement. « Nos bébés sont si petits qu’il est très facile de ne pas s’adresser à eux, de ne pas reconnaître qu’ils existent » alerte la psychanalyste. Créer des interactions avec le nourrisson, aussi petit soit-il, c’est ce que tente de valoriser ce partenariat atypique. Un très bon début, car encore rares sont les équipes, comme celles du Docteur Pascal Bolot à l’hôpital Delafontaine de St-Denis (93), qui ont pu intégrer une psychanalyste qui accompagne au quotidien les bébés en leur parlant.
*méthode thérapeutique utilisant le son et la voix
Article publié le 17 juillet 2017 dans la rubrique Culture ( Scènes) du Monde.fr